Maid in Progress

Pour l'exposition à The Merchant House, Mary Sue s'est inspirée du caractère bourgeois du lieu pour faire revêtir à son alter-ego le rôle de la servante. Ce personnage embrasse à la fois le fantasme érotique de la french maid, et une considération sur la condition ancillaire. 

On peut remonter aux scènes de cuisine de la grande peinture du XVIIe siècle hollandais, ou encore aux dessins naturalistes d'Isaac Lazarus Israëls, qui a su se pencher avec beaucoup de talent et de respect sur le sort de l'ouvrière et de la servante. Mais on pense aussi bien sûr au vaudeville du XIX° siècle. A la place infernale que cette créature occupe entre la tyrannie aigre d'une maîtresse de maison et les appétits lubriques de son époux. La servante ne saurait échapper à sa condition sociale, même lorsqu'elle est affranchie ou qu'à force d'intri­gues, elle est parvenue à se hisser à un rang qui lui est interdit.(1) Quant à sa descendance, elle est toujours le fruit du péché, donc frappée d'opprobre.(2) Mais si l'on va plus loin dans ce qui relève d'un cliché subtilement mani­pulé on réalise que le personnage traditionnel recouvre un propos d'une cruciale et cruelle actualité (après Octave Mirbeau vient Jean Genet). D'une tragédie l'autre, on en arrive à une réflexion plus étendue et d'au­tant plus réaliste qu'elle passe par le prisme de l'humour.
Cette fois, la soubrette fait le ménage dans le territoire de l'art contempo­rain. Tout à sa tâche, elle ne s'émeut pas de la peinture, elle s'y donne entièrement, comme toujours. S'il lui arrive de se distraire, c'est pour rêver de bijoux, mais les diamants dont elle se pare ne sont que les pam­pilles du lustre qu'elle est censée astiquer. L'abnégation qu'elle met à sa besogne fait sa force désarmante mais témoigne également de son incapacité à s'évader de sa condition, sinon par le suicide. Le suicide étant ici une étape obligée de l'autodéri­sion. Mais comme nous sommes dans de domaine de l'art et de la fiction, les suicides à répétition du personnage ne portent pas à conséquence. Ils ne représentent qu'un moment de répit avant de réintégrer la vie pour subir de nouvelles avanies

(1) En restant au grand siècle Hollandais, on se souviendra également du scandale que suscita la vie maritale que Rembrandt entretint avec sa servante.
(2) Voir chez Zola, Mirbeau ou Strindberg.


GLORIA 
Sculpture monumentale, fontaine, résine, faux bronze 
115 x 115 x 215 cm, 2017

« Est-ce qu'un jet d'eau qui ne jail­lit pas est encore un jet d'eau? » 

se demandaient devant la fontaine de la Sendlinger-Tor-Platz à Munich les personnages de Karl Valentin.(3) Dans la même veine, on peut se demander si une fontaine qui dégouline lamen­tablement du balai et du seau d'une soubrette est encore une fontaine, voire un monument. Il y a tout juste quelques décennies, en France, une femme n'avait pas le droit d'intégrer la classe de sculpture dans les écoles nationales des Beaux-Arts. Il fallait pour cela avoir la carrure du tailleur de pierre et la barbe qui désignait le rôle. Une photographie jaunie montre ainsi la classe de sculpture d'une école d'art: au milieu d'un groupe d'hommes arborant fièrement leur pilosité mentonnière, ne figure qu'une seule femme. Mais elle est nue. C'est le modèle bien sûr. La statuaire a le plus souvent revêtu les caractères d'une virilité guerrière (même et surtout sur les monuments aux morts). Mais la statue de la servante, ses armes à la main, prend tous les codes de ce modèle à contre-pied. 

A l'érection (de la statue) répond l'égouttage (du balai). Désormais, pour un sculpteur, plus besoin de savoir taper le caillou, Mary Sue a assez de force dans le poignet pour monter les oeufs en neige ou pour maîtriser la résine. En reprenant ironiquement les codes de la statuaire traditionnelle, l'artiste n'accomplit pas un acte régressif. Elle use d'un maté­riau qui sert aux musées et en particu­lier à leurs boutiques de reproductions pour commercialiser des fac-similés de chefs d'oeuvres universels. Cette résine qui permet d'imiter aussi bien le marbre que le bronze sert aussi à confectionner tous les personnages qui animent les parcs d'attractions.(4) Le second degré ici revendiqué, est donc d'une parfaite modernité. 

Techniquement parlant, qu'elle construise un carrousel tragi-comique (Mary goes round, 2009) ou qu'elle constitue un ensemble d'animaux obèses tirés du bestiaire des films pour enfants, Mary Sue passe d'abord par le modelage avant d'en mouler les formes, puis de couler la résine qu'elle polit et peint avec le plus grand soin. Une application et un soin qui révèlent une proximité troublante entre l'artiste et son personnage. La naïveté en moins bien évidemment. Car si le personnage est naïf, l'artiste qui s'y dissimule insinue dans cette candeur une bonne dose de duplicité mor­dante. Quoi qu'il en soit, la naïveté est ici un outil et ce peut être une arme redoutable, nous le savons depuis le Simplicius Simplicissimus de Grimmelshausen, relayé par le brave Soldat Chvéïk ou par Karl Valentin. 

(3) Conversation à la fontaine au jet d'eau, Der Spritzbrunnenaufdreher, 1929.
(4) Il y a peu de temps encore (en 2016), à l'occasion de la grande rétrospective de ses oeuvres au Noordbrabants Museum de Bois-le-Duc, des monstres en résine, tirés des peintures de Jheronimus Bosch, ornaient ainsi les jardins de la ville.


REVELATION
Installation vidéo pour écran plat, performance, HD couleur, 
8 minutes, boucle, 2017


USUAL TOOLS
Série de 12 photos, 29x19cm, 2017


WASHER 
Installation vidéo performance, multimédia
Hd couleur, son stéréo, projecteur, seau, serpillère
durée illimitée, 2017 (image de gauche : vue de l'installation in situ)


STILL LIFE
Multiples originaux, C-print, cadre faux bronze, joint de silicone
38,5 x 33 cm, 2017


MAID IN PROGRESS
Vidéo performance in situ, rétroprojection sur vitres au sol,
vidéo HD couleur, son stéréo, durée illimitée, 2017

Si dans l'exposition d'Amsterdam, la statue joue au bronze, au monument crânement érigé, à la fontaine publique installée sur un bassin qui a tout d'une bassine ou d'un receveur de douche, le propos n'en est pas moins des plus sérieux. Aujourd'hui, à la relation maître/domestique, bourgeoisie/employés de maison, s'ajoute une réflexion plus générale sur la condition féminine. Rien n'est pire, en art ou dans la vie que « l'esprit de sérieux » (Simone de Beauvoir) mais rien n'est plus sérieux que l'humour, et c'est bien un des privilèges de l'artiste que de nous placer ainsi en porte-à faux entre dérision et gravité.


MARYSUECIDE n°18 (Fan Service)
Photographie C-print 160 x 108 cm, 2017

Texte écrit par Hubert Besacier
pour l'exposition Making Things Happen, The Merchant House Gallery, Amsterdam, 2017

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